Aujourd’hui je viens de voir que cela fait beaucoup trop longtemps que je n’ai pas écrit un article donc je vais tout de suite me rattraper. J’ai choisi de vous raconter mes cinq derniers mois car si vous ne le saviez pas je fais actuellement du volontariat sur l’île de Lesvos en Grèce concernant la “crise des réfugié·e·s”. Je vais essayer, dans cet article, d’aborder différents sujets: l’orientation post-diplôme, l’expérience humanitaire et la place du design dans les ONG.
PS: j’ai appris récemment la nuance volontariat/bénévolat, qui n’existe pas en anglais. Je tiens donc à préciser qu’il s’agit ici de bénévolat.
Introduction: jeune diplômé, que faire ?
Fraichement diplômé en Stratégie du design je sortais de ce master avec le projet Opoiesis décrit dans cet article et donc avec deux convictions concernant mon futur proche: “je souhaite travailler avec une entreprise qui possède des valeurs et qui considère les enjeux environnements et sociaux” et où “la place du designer est connue et reconnue comme un acteur pour l’innovation”. J’avais en tête des projets très éloignés les uns des autres: du stage à Bruxelles, au déménagement à Stockholm, au volontariat en Grèce ou au Liban, au VIE à l’étranger, … à vrai dire les seuls choses dont j’étais sûre concernaient ce que je ne voulais pas faire.
Le volontariat m’intéressait pour plusieurs raisons:
- Je souhaitais une expérience de terrain qui puisse en quelque sorte confirmer mon envie de travailler dans ces domaines sociaux et environnementaux. Au-delà du volontariat je considérais cette option comme une véritable expérience professionnelle.
- Cela me permettait de sortir du chemin classique école-stage-travail. J’ai souvent fonctionné en suivant des opportunités que je considérais improbables et cela m’a rarement fait défaut donc le volontariat post-étude me faisait du pieds.
- Je souhaitais également améliorer mes qualités en terme de relation humaine. L’empathie est un sujet important dans le design.
- Et bien entendu pour donner un peu de mon temps dans une organisation sachant pertinemment que faire du volontariat serait plus compliqué une fois rentré dans la vie active.
Le problème majeur restait de trouver une ONG qui me plaise dans cette myriade d’organisations. Après quelques recherches j’ai trouvé une mission intéressante et j’ai envoyé une candidature: trente minutes plus tard je recevais ce mail me disant “désolé pour cette réponse tardive”. J’ai aimé cette réponse, je suis parti.
EDIT 2021: Cet article de 2017 représente une vision très intéressante de mon début de parcours. Depuis j’ai créé l’ONG Humanitarian Designers. Le but est de créer du lien entre les designers et les ONG humanitaires, ainsi que de motiver les jeunes designers à franchir le pas. N’hésitez pas à passer voir notre communauté.
Mais alors, le volontariat, l’humanitaire, comment ça fonctionne?
Je n’avais jamais travaillé dans l’humanitaire ni fait de volontariat, c’était simplement un de ces choix pris à la première minute. Heureusement il y avait un cours introductif ,en ligne, qui m’a rassuré quant aux compétences nécessaires une fois sur le terrain: cours qui ce sont avérés totalement inutiles en tant que volontaire mais très intéressants en tant que designer. En effet j’y ai appris ce qu’était l’humanitaire d’un point de vue global.
L’histoire
Pour introduire brièvement la travail humanitaire, tout a commencé en 1859 avec le Suisse Henri Dunant qui apporte une aide neutre sur un champ de bataille recouvert de morts et de blessés laissés pour morts. En 1863, le Comité International de la Croix-Rouge est créé suivant les idées de Dunant et avec ce dernier comme secrétaire du comité. En 1864, la Convention de Genève, comportant douze gouvernements, accorde le droit de porter soins au blessés des champs de batailles. Deux faits intéressants: Dunant recevra le premier prix Nobel de la paix en 1901. Et la Croix-Rouge est simplement le drapeau Suisse avec les couleurs inversées… voilà voilà pour les anecdotes.
La vision globale de l’humanitaire d’aujourd’hui
Pour simplifier la vision globale, la coordination des secours humanitaires se divisent en onze groupes (clusters):
- Eau
- Abris
- Protection
- Nutrition
- Logistique
- Santé
- Nourriture et sécurité
- Télécommunication d’urgence
- Éducation
- Reconstruction rapide
- Coordination des camps et management
De nos jours l’humanitaire est donc un domaine très développé qui peut paraitre difficile à mettre en place et à coordonner. J’ai été surpris de voir au contraire les documents créés pour faciliter le travail des organisations. Des documents connus et reconnus internationalement, tels que:
- Le Projet Sphere
- The Code of Conduct of Red-Cross
- The Good Enough Guide
- The Humanitarian Accountability Partnership
- The Do No Harm Approach
Le Projet Sphère
Le plus important est probablement le Projet Sphère. C’est une initiative à but non lucrative, internationalement reconnue, qui présente la charte humanitaire et les standards minimums de l’intervention humanitaire. Il s’agit ici “d’améliorer la qualité de l’aide humanitaire, le redevabilité des acteurs humanitaires vis-à-vis de leurs mandats, de leurs bailleurs de fonds et des populations sinistrées”. On y retrouve dans ce document six standards essentiels :
- Intervention humanitaire centrée sur les personnes.
- Coordination et collaboration
- Évaluation.
- Conception et intervention proprement dite.
- Performance, transparence et apprentissage.
- Performance des travailleurs humanitaires.
Chaque standard essentiel est structuré avec des actions clés, des indicateurs clés et des notes d’orientations.
Projet Sphère: en quoi c’est intéressant pour Opoiesis?
Ces standards essentiels sont donc ensuite distribués au travers des différents standards minimums tels que l’eau, l’hygiène, l’habitat, les articles non alimentaires, etc. Ce que je trouve intéressant dans ces standards essentiels c’est qu’ils rappellent très curieusement le fonctionnement des méthodes actuelles que l’on retrouve dans l’Entreprise: Six Sigma, Agile, … avec un vocabulaire également très similaire. Mais là où le Projet Sphère se démarque probablement des méthodes d’Entreprise c’est qu’il est accepté et utilisé par la majorité des organisations et qu’il y a donc une cohérence et une relation très forte sur le terrain entre toutes ces organisations qui doivent collaborer pour aider et être plus efficace. Moi qui m’intéresse également au design management, je suis donc parti en Grèce avec en tête d’observer ce fonctionnement, cette collaboration entre ces organisations et pourquoi pas voir comment adapter ce fonctionnement au monde de l’Entreprise.
Le contexte particulier de l’île de Lesvos
Les ONG présentes sur le terrain n’ont de sens que si l’ont connait le contexte actuel donc voici un petit résumé.
La “crise des réfugié·e·s”
Ce nom que l’on emploie dès que l’on souhaite parler de migrations en Europe. Que le sujet médiatique soit en Espagne, en Italie, en Grèce avec l’arrivée des bateaux; en France, en Allemagne, en Belgique avec des personnes vivant dans la rue; en Autriche, en Hongrie avec des gouvernements autoritaires. Que les histoires nous parlent de congolais, de rohingyas, fuyant la répression ou les gouvernements corrompus; de syrien, d’afghans, d’irakiens fuyant la guerre et la torture. Quelles que soient leurs histoires le mot clé reste le même, c’est la crise des réfugié·e·s.
- Le mot “crise” montre une situation temporaire extrême. En réalité cette situation est loin d’être temporaire.
- Le mot “réfugié” efface tout aspect humain d’une personne. En disant “les réfugiés” nous insinuons qu’ils ont tous la même histoire, qu’ils sont identiques et selon mon expérience ils ont tous une histoire différente: de la plus macabre à la plus farfelue. Personnellement j’évite de dire réfugié et dit simplement “une personne”. Le mot “migrant” montre selon moi un point de vue plutôt hostile.
- La “crise des réfugié·e·s” insinue en quelque sorte qu’ils sont les responsables d’un problème qui est, en réalité, bien plus complexe avec de nombreux acteurs: Europe, politique et géopolitique, énergie (gaz et pétrole), guerre, influence et pouvoir, management des flux humains, temps et coordination, …
Le vocabulaire est donc très important.
La situation à Lesvos en trois points
- Quels que soient leurs pays d’origine, cela fait maintenant plusieurs années que des gens fuient leurs pays pour survivre. Pour entrer en Europe, le plus facile mais le plus dangereux est de prendre un bateau pneumatique pour traverser la frontière par la mer. Lesvos est une de ces îles grecques qui se situent à quelques kilomètres de la Turquie, autant dire un point clé dans ces migrations à grande échelle.
- En 2015 des milliers de gens faisaient la traversée chaque jour et la situation de crise était très médiatisée cependant Lesvos était un simple lieu de transition. La situation changea en mars 2016 lorsque l’UE et la Turquie signèrent un accord ayant pour conséquence certes une baisse du nombre de traversées mais transforma Lesvos en “hotspot”. Un hotspot désigne la première étape d’enregistrement (administrative) des nouveaux arrivants en Europe. En quelques jours l’île se transforma d’un lieu de transition en un lieu de séjour: ni les ONG, ni les autorités n’étaient prêtes face à ce changement radical; du jour au lendemain les nouveaux arrivants étaient interdits de quitter l’île sans une autorisation officielle des autorités. Malheureusement cet enregistrement est très difficile moralement (interviews en face à face où l’on doit raconter son histoire) et très long: pas mal de gens sont bloqués sur l’île depuis plus d’un an!
- De nos jours, l”île possède trois camps (chiffres de novembre 2017):
- Kara Tepe: dirigé par la municipalité de Mytilène (“capitale” de Lesvos). Ce camp conçu comme un village de vacances est destiné aux familles et personnes vulnérables. Le but est d’avoir des espaces de vie sécurisés pour les enfants.
- Pikpa: dirigé de manière autonome par des volontaires, c’est un camp destiné pour les personnes très vulnérables (mineurs non-accompagné·e·s, personnes handicapé·e·s, LGBT, …). Très petit, il ne peut accueillir qu’une centaine de personnes.
- Moria: dirigé par gouvernement grecque et situé dans un ancien centre de détention de l’armée grecque, c’est un camp tout en un: enregistrement, identification, procédure “fast-track” (déportation en trois jours), abris et détention (prison pour les personnes dans l’attente d’une déportation). Moria peut accueillir 1700 personnes mais accueille actuellement 6746 personnes. Autant dire que les conditions à Moria sont inhumaines et que les histoires qui nous parviennent sont toutes déplorables. Trois histoires choisies au hasard parmi tant d’autres:
- Les femmes demandent des couches pour adultes pour ne pas risquer d’aller aux toilettes la nuit.
- Des volontaires d’une des ONG (EuroRelief) autorisées à l’intérieur de Moria essaient de convertir les gens aux christianisme, quit à les soudoyer en étant plus généreux envers ceux qui se convertissent.
- Aucun plan n’a été prévu par les autorités et UNHCR quant à l’hiver (rude) qui arrive alors que les gens dorment actuellement dans des tentes en toile, à même le sol, et quand bien même il y a déjà eu des morts l’an dernier en hiver.
Quelques chiffres
L’île possède environ 87000 habitants.
Pour le seul mois d’octobre 2017, les îles Nord de la mer Égée ont reçus 112 bateaux (surtout de nuit) pour un total de 4116 personnes.
Sur ces 112 bateaux, Lesvos en a recueilli 48 pour un total de 2264 personnes: 899 enfants, 833 hommes et 528 femmes. Il y a donc en moyenne 47 personnes par bateau pneumatique et en moyenne 73 personnes arrivant chaque jour sur l’île.
Le nombre total de personnes bloquées à Lesvos est de 8669 personnes (fin novembre) soit 10% de la population de l’île: 6746 à Moria, 1190 à Kara Tepe, 605 dans des “logements améliorés” (Pikpa; hôtels et appartement aménagés), sans compter ceux qui vivent dans des squats ou dans la rue.
Le nombre d’arrivés étant plus grand que le nombre de départ, ces chiffres augmentent de quelques centaines chaque mois. Pour avoir plus d’informations, voici quelques liens: Data UNHCR en Grèce.
La situation avant Mars 2016 expliquée en une animation: Vidéo
La situation après Mars 2016 résumée dans ces trois articles que je vous conseille fortement:
- De Spiegel (anglais): The Refugee Scandal on the Island of Lesbos
- Le Club Mediapart (français): A Lesvos, la foi et la raison
- News Deeply (anglais): The Refugee Archipelago: The Inside Story of What Went Wrong in Greece
Connaissant le contexte j’aimerais vous présenter les trois ONG pour lesquelles j’ai travaillé et montrer quels sont leurs besoins en tant que designer.
Des ONG et des missions différentes
Lighthouse Relief
Lighthouse Relief à Lesvos est situé au nord de l’île dans le petit village de Skala Sikamineas.
Mission
- Surveillance 24/7 des bateaux présent sur la mer: que ce soit de jour à Lepetimos ou de nuit à Korakas, les volontaires restent aux aguets, jumelles et vision de nuit à la main, essayant de repérer la moindre activité suspecte, le moindre bateau tentant la traversée, afin d’alerter les secours.
- Communication: si quelque chose semble suspect, le chef d’équipe contacte le coordinateur qui contacte les gardes cotes grecques, les bateaux de secours (ONG) et les différentes équipes de garde prêtent à intervenir. L’équipe de surveillance joue donc un rôle primordiale car, avec leur vision de nuit, ce sont les seuls à voir ce qui se passe sur l’eau.
- Débarquement: quelque soit le scénario de débarquement (sur les récifs, sur la plage ou au port) l’équipe de garde a un rôle à jouer. Ils doivent intervenir le plus rapidement possible pour procurer les premiers secours: couverture de survie, eau et biscuit sont les premières nécessitées pour ces personnes arrivant trempées et fatiguées.
- Nettoyage des plages et upcycling (projet terminé): toute la côte nord de l’île a eu le droit à un grand nettoyage. Certains des gilets de sauvetages et des morceaux de zodiac (en caoutchouc) ont été récupéré, nettoyé et transformé en produit du quotidien comme des bracelets, des portefeuilles, des sacs, …
Séjour
Première expérience en tant que volontaire, je me suis intéressé à Lighthouse Relief pour son travail dans les deux domaines (social, environnemental) qui m’intéressent. Après quelques jours seulement, j’ai réalisé que ces ONG sont très flexibles et acceptent volontiers des gens prêt à fournir une aide (professionnel) supplémentaire… du pain bénit pour un designer. Si l’analyse des problèmes existants est bien mené alors la plupart des solutions apportées seront vues d’un très bon œil.
Travaux fournit durant ces deux mois: l’ONG ayant une très grande expérience, étant bien organisée et ayant une communication professionnelle je me suis finalement concentré sur la communication interne en améliorant les outils existants:
- Création d’une carte de la région avec des informations plus spécifiques:
- Création d’un entrainement pour les nouveaux volontaires:
La carte et le guide d’entrainement sont maintenant utilisés par toutes les ONGS de S&R de l’île (+ de 400 volontaires/an).
- Création d’une méthode pour définir la distance d’un bateau:
Cet outil permet maintenant une marge d’erreur de seulement 400m (0.2NM) sur une aire de 50km².
- Et enfin un dessin (110x235cm) que j’appelle “Mémoire collective”. Au milieu de tout ces traits noirs se trouvent des mots qui raconte des souvenirs, des expériences reliées à Lighthouse Relief. Ce dessin me fait penser à un cerveau: des souvenirs sont perdus dans notre inconscient et parfois resurgissent de nul part; de la même manière lorsque l’on regarde ce dessin des mots peuvent nous sauter aux yeux. Mais ces processus ne sont pas complètement aléatoires, si un mot se dévoile subitement c’est parce que notre cerveau fait une connexion entre ce mot et un souvenir vécu. Avec 624 mots ce n’est donc pas une seule histoire mais bien l’histoire de toutes les personnes ayant passé du temps dans ce petit village de Skala Sikamineas qui se cachent dans cette mémoire collective.
One Happy Family
OHF est un centre communautaire de jour situé à proximité des camps de Kara Tepe et Moria, dans la grande ville de Mytilène et ouvert de 10 heures à 18 heures du lundi au samedi. L’un de ses nombreux atouts est sa vision: travailler avec les gens et non pas pour eux! En effet cet espace est construit et coordonné ensemble avec les gens vivant dans les camps (surnommés les helpers). Chacun a son mot à dire dans l’organisation et chacun peut amener ses compétences pour améliorer cette communauté qui se construit au jour le jour. C’est de cette manière que l’on souhaite ramener un sens des responsabilités, une autonomie et une motivation qui se perdent facilement dans les camps. C’est notamment grâce à cette vision assez unique que le centre réussit, après seulement quelques mois, à accueillir entre 450 et 900 personnes chaque jour.
OHF possède également une “banque” où les gens reçoivent gratuitement des “Drachmes”, ces billets-gratuits peuvent ensuite être utilisés pour certaines activités tel que la boutique ou le café. L’idée est de redonner aux visiteurs un choix et un sentiment de normalité dans un environnement souvent décidé par les autres.
Mission
- En tant que volontaire, la mission est simplement de participer aux différentes activités. Chaque matin on se regroupe et on définit les tâches de la journée.
Séjour
Après avoir passé quelques mois à LHR, j’ai décidé de changer d’air et d’aller à OHF. L’idée de la monnaie-gratuite me semblait intéressante et annonçait une certaine liberté dans la créativité et l’innovation.
Au final c’est une expérience totalement différente:
- Tout se fait très rapidement, il y a peu de temps à la réflexion. J’ai dû insister pour changer ça et pouvoir faire mon travail de designer.
- La hiérarchie est assez présente. Dans un centre communautaire les relations humaines sont très importantes et une certaine forme de hiérarchie se met en place basée sur l’ancienneté. Les volontaires ne restant que quelques semaines, ce sont donc les helpers (~50 personnes) qui sont les tauliers. Un certain temps est donc nécessaire avant de “vouloir tout changer”.
- Avec 600 personnes par jour c’est forcément un bon endroit pour discuter avec des gens du monde entier: plus de vingt nationalités (Moyen-Orient, Asie, Afrique, Amérique du Sud), quatre langues majoritairement parlées (anglais, français, arabe, perse). C’est également à partir de ce moment là que j’ai vraiment appris ce qu’il se passait au camp de Moria. En terme de connaissances j’ai développé une compréhension un peu plus claire et plus critique de la situation.
Travaux fournit durant ces trois mois: par rapport à LHR la communication ne semblait pas si développée. Du coup, les premières semaines, j’étais un peu perdu ne sachant pas vraiment par où commencer. L’ONG étant plus jeune, il a été beaucoup plus facile de discuter avec les différents membres fondateurs et d’avoir une connaissance approfondie du projet. Du coup j’ai décidé de travailler sur une communication globale (interne et externe) afin de poser des bases qui puissent aider au développement futur de l’ONG.
- Toute la communication interne se faisait à la main, au jour le jour, sur une feuille en papier et décliné en quatre langues. Pour rester dans la même veine, j’ai choisi une identité “faite à la main” basée sur des pictogrammes pour simplifier le message: cela permet d’avoir une communication claire et unique, comprise par toutes les nationalités et facile à reproduire pour les prochains volontaires.
- En tant que designer stratégique j’étais arrivé avec l’intention de créer une levée de fond pour avoir une expérience professionnelle se rapprochant un peu plus de la partie stratégique. La campagne a été lancée très récemment (Mise à jour: et a permis de récolter 2000€).
- Mise à jour (19/02/17): enfin, pour mon dernier projet avec OHF, j’ai travaillé sur une vidéo. L’idée était de montrer que le contexte de cette crise est bien plus complexe que ce que l’on peut entendre. Les “réfugiés” ne sont pas simplement un groupe fait de gens similaires mais bien des être humains uniques avec des histoires différentes. Il y a des portraits de 73 personnes venant de 28 pays; la vidéo a atteinte 6308 personnes et a reçu 416 réactions.
Office of Displaced designers
ODD est une ONG qui facilite le développement éducationnel et professionnel grâce à des projets créatifs: design, architecture, photographie, … L’ONG invite toutes les communautés à collaborer et travailler dans des projets multidisciplinaires.
Mission
- Dans un programme de mentorat, j’aide actuellement un jeune afghan dans la création de son projet: enseigner le grec aux personnes parlant farsi, via des vidéos Youtube.
Ce projet est un peu plus en retrait car le mentorat se fait par mail et occasionnellement par rendez-vous; également parce que le “protégé” est tout simplement très autonome dans son projet. Au total, après 5 réunions et une après midi d’interviews avec son “public potentiel” pour cerner au mieux les besoins, il a publié 25 vidéos de 10 minutes. Il travail maintenant dans une ONG en tant que traducteur: perse-anglais-grec.
Impressions globales
Les différentes ONG et leurs fonctionnements
Selon mon expérience ici, à Lesvos, les organisations se développent très rapidement, généralement pour répondre à une situation d’urgence. Elles survivent grâce à une communication assez simple pour récolter des fonds et des volontaires, tout se fait assez rapidement. Puis à partir de plusieurs mois d’activités (~6-12 mois) l’ONG commencent à trouver sa place, s’organiser et atteindre une certaine maturité. Enfin dans un souci de stabilité l’ONG se développe par paliers pour atteindre une excellence dans son travail.
L’un des problèmes perçu est la hiérarchisation. Dans les ONG cela signifie que l’administration, possédant les fonds, et l’équipe travaillant sur le terrain se séparent ce qui peut créer un manque de communication aux conséquences immédiates. C’est probablement l’un des (nombreux) facteurs qui fait que UNHCR (l’Agence des Nations Unis pour les réfugiés) est si mal perçue sur l’île.
Engagement au changement
Quel que soit le stade de développement de l’ONG, amener du changement m’a paru plutôt facile: engranger de l’expérience de terrain pour analyser les problèmes; parler avec le coordinateur et les volontaires pour recueillir une vision et une expérience; puis proposer une solution reste la méthode classique. Cependant certaines étapes doivent être respectées pour ne pas se casser les dents.
La sensibilisation est une étape importante car les gens sont souvent occupés, surtout les coordinateurs. Cela leur demande du temps pour écouter des idées sachant que toute la journée ils reçoivent des gens “qui souhaitent leurs parler”. Je pense que les coordinateurs apprécient les gens qui ne leur demandent rien, alors sachez, à l’inverse, les écouter et proposer des solutions en fonction de leurs visions, leurs problèmes tout en y ajoutant vos idées.
Si cette étape est bien faite, alors la compréhension ne devrait pas être un problème. Peut-être que l’on viendra vous demander le jour même “où en est le projet?”, il faudra simplement répondre que ce n’est pas un travail d’une journée et que cela prendra un peu plus de temps.
L’accord se fait lorsque le travail est terminé et peut être présenté au coordinateur.
L’adoption et la possession est probablement l’étape la plus difficile. En tant que designer il faudra travailler très dur pour que votre travail soit utilisé au jour le jour par tout le monde. Ce n’est pas forcément que les gens n’ont pas envie, mais le changement prend du temps et il faudra insister tout les jours dans la bonne direction. Pour chaque document créé il faudra introduire en première page: ce qu’est le document, à quoi il sert, comment il fonctionne et tout autre information nécessaire que vous seul connaissez mais qui doit être partagée.
Les dommages créés par le design
Si les bienfaits ont été évoqué tout au long de cet article, je n’ai pas évoqué les dommages que peuvent provoquer le design. J’ai notamment en tête le cas bien spécifique qu’est celui d’UNHCR:
Lorsque l’on se fait garant de certains devoirs tels que “préserver la dignité humaine”, j’ai du mal à comprendre comment on peut mettre son logo sur tout ce que l’on produit. Quel meilleur moyen de rabaisser un être humain au point de l’estampiller “réfugié” avec un simple logo et de pointer du doigt toute une catégorie de personnes?
Si l’identité graphique peut facilement nous pousser, en tant que designer, à vouloir mettre un logo de partout, quelques jours sur le terrain suffiraient à faire comprendre comment cela peut, au contraire, faire bien plus de mal car je n’ose pas croire que cela soit fait consciemment.
Conclusion
La conclusion n’est pas vraiment fermée car je suis toujours à Lesvos avec One Happy Family et il y a tellement de choses à dire, la première pensée va aux helpers.
Il parait difficile de conclure cet article tant la situation peut changer du jour au lendemain. L’hiver se pointant, les tensions montent, les bagarres s’organisent, les tentes s’enflamment ou s’inondent et les gens perdent le moral. Quelques vagues de tampons bleus, signe d’une autorisation pour aller sur le continent, ont eu lieu ces dernières semaines: les familles sont heureuses mais les helpers d’OHF sont tristes de quitter cette famille qu’ils se sont construite en l’espace de quelques mois. C’est l’un des challenges qui nous est proposé: qu’ils soient heureux de quitter OHF pour continuer leur chemin loin de cette île “emprisonnante”; car n’oublions pas que le contexte politique pourrait bien changer du jour au lendemain et voir le nombre de déportations augmenter. Ces jeunes ne devraient pas jouer à “attendre que leurs ami·e·s aient aussi le tampon bleu” mais que dire face à ceux qui partent à Athènes, tout seul, et veulent revenir sur l’île au bout d’une semaine? Ces gens qui nous offrent leurs plus beaux sourires lorsqu’ils sont dans la lumière de tout les jours voient subitement leurs histoires tragiques ressurgir dans ces moments de solitudes, au risque de s’éteindre avec un sourire de façade en chantant “Je pense pas à demain, parce que demain c’est loin”.
Article très intéressant! J’aimerai beaucoup discuter de l’expérience volontaire pour un designer (pour mes études et ma vision du design). Est-ce qu’il serait possible d’échanger?
Ravi que l’article t’intéresse. Je t’envoie un mail et on en discute.